Dieu, une sollicitation ?

Le 27 septembre 2015, notre amis Patrick McDonald a donné une conférence à l’Oratoire St-Joseph de Montréal à l’occasion du 40e anniversaire du décès de Maurice Zundel.  On peut retrouvera son contenu avec les notes ci-dessous.

Dieu, une sollicitation ?

Sollicitation ? démarche pour obtenir quelque chose- prière – demande insistante

Pour s’incarner, Dieu a soumis son projet à Marie, l’a laissée libre d’accepter et a attendu sa réponse : il l’a sollicitée.

Pour obtenir une légitimité et naître dans l’honneur, Dieu a demandé la contribution de Joseph : il l’a sollicité.

Pour répandre son message, Dieu a suggéré à des pêcheurs de le suivre : il les a sollicités.

Pour vivre en nous, aujourd’hui, et continuer à se révéler, il nous demande de nous libérer de nos déterminismes : il sollicite notre consentement.

Voilà expliqué le choix du titre de cette conférence.

Mais Dieu a fait encore plus, en nous donnant des exemples d’humains qui ont répondu à sa prière. Pour plusieurs, Maurice Zundel en est un parce qu’il a donné chair, a fait habiter parmi nous ce Dieu qui est hélas encore pour beaucoup une abstraction, une idée, en tout cas qui est en dehors de nous. Voyons brièvement comment il a répondu à la sollicitation divine.

En 1897 mourait Thérèse de Lisieux et naissait Maurice Zundel. Il a continué pour ainsi dire son témoignage. Et cette année, il me semble que l’Église est prête à entendre son message, qui est celui de Jésus lui-même, c’est-à-dire qu’il est temps d’opérer une conversion, un retournement, une reprise de la bonne nouvelle obnubilée par trop de fausses interprétations. On a pu dire qu’il était en avance sur son temps. Se pourrait-il que cette avance était de 40 ans ? Alors il serait de NOTRE temps, puisque nous soulignons cette année le 40e anniversaire de sa mort.

Frappez et on vous ouvrira… Partir de l’expérience de Zundel, c’est déblayer le terrain de la connaturalité avec la divinité. En autant que nous soyons nous-mêmes sur le chemin, en autant que nous soyons en marche, en autant que nous vivions de la même vie que lui: c’est ce qui nous permet de comprendre de l’intérieur sa démarche en insistant non sur la connaissance mais sur l’expérience, le vécu, l’élan, la vie qui éclaire toute notre existence. Il a beau faire soleil, si les volets restent fermés….

De l’expérience de Zundel ne faisons pas une aventure intellectuelle seulement. Pour partager une expérience de mystère, de mystique, il nous faut, en tant qu’humains, passer par l’intermédiaire des mots. Mais le vécu n’est pas concept. Une fois perçu l’objet de l’expérience d’autrui, il nous faut nous lancer nous-mêmes et ne pas nous figer dans le “contempler”, cesser de nous “étonner”, de nous émerveiller seulement. Tout est préambule à la re-naissance.

L’important c’est d’être vivant avant de mourir dira Zundel. Et cela s’applique à tous les humains, en dedans comme en dehors des cadres d’une religion ou d’une race.

C’est simple. Écoutez le pape Jean-Paul II :

« Jésus demeure parmi tous ceux qui l’invoquent sans l’avoir connu; parmi tous ceux qui, ayant commencé à le connaître, sans aucune faute de leur part l’ont perdu; parmi tous ceux qui le cherchent avec un coeur sincère, bien qu’ils appartiennent à des situations culturelles et religieuses différentes… » Jean-Paul II, pour les 12e Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris, août ’97 (Prions en Église, 24 août 1997, page 23)_

Le seul vrai moyen c’est de retrouver l’expérience qui nous a marqués le plus dans notre vie et de la transformer en nourriture quotidienne et en assise indéfectible de notre foi en Dieu. Peu importe si elle n’est pas aussi glorieuse que celle des Paul, Augustin, Claudel, Frossard, Pascal …( voir Ton Visage, p. 99 sermon de 1969), elle doit de toute façon être comme celle de Zundel, non pas une apparition, mais une certitude intérieure. Dieu est une découverte et non une invention, suivant l’expression de Louis Massignon.

Ne faisons pas comme Moïse, Job, Isaïe, Jérémie… en disant à Dieu: choisis quelqu’un d’autre pour parler en ton nom, moi j’en suis incapable. Peut-être ne voulons-nous pas parler au nom de Dieu, témoigner en son nom, parce qu’alors il nous faudrait être véridique et vivre de Dieu avant tout. Et ce serait peut-être embarrassant, mal vu, nouveau en tout cas pour nos prochains qui ne nous connaissent peut-être pas sous cet angle.         C’est pourtant notre raison d’être, c’est la façon pour nous de devenir chrétiens.

« Quand nos coeurs de pierre seront transformés en coeurs de chair, nous rejoindrons notre thème initial en rappelant cette méditation de Zundel : “Nous avons construit l’église-maison avec les pierres de nos collines, avec le ciment et le fer. Nous en sommes heureux et humblement fiers. Maintenant commence le vrai travail qui est de construire l’Église-Corps-du-Christ avec les pierres vivantes que nous avons à devenir”,( pp. 187-188, Pèlerin de l’Espérance);

C,est dire que nous ne sommes pas encore. Et comme notre nom est unique, personne ne peut nous y conduire sinon Celui qui nous habite déjà et nous invite à le visiter en nous.

Ma propre expérience me rappelle que lorsque je ne connais pas quelqu’un, je cherche à savoir son nom. Je donne même des noms fantaisistes à mes petites-filles, à ceux et celles que j’aime (enfants- soeurs – épouse) : c’est naturel.

Zundel fait de même : il s’arrête aux noms que la tradition et l’éducation lui ont laissés de Dieu, de la religion, de lui-même et il s’aperçoit qu’il ne sait pas qui il est. Connais-toi toi-même… Par exemple, pensons à ces mots bien connus et que l’Église nous fait répéter au début du Carême : Tu es poussière et tu retourneras en poussière. Pourtant Jésus se met à genoux devant ses apôtres, devant donc ce qui est bien plus vrai et qui nous fait laisser de côté la fausse notion humiliante de l’homme. Nous sommes des frères d’un homme-dieu, des enfants créés par amour et qui sont les héritiers de Dieu. Mettons fin à l’Ancien Testament et cessons de diminuer l’homme qui devait se cacher la face devant Dieu, ne pas prononcer son nom, ne pas toucher l’hostie avec ses dents, ne pas s’imposer des sacrifices pour plaire à Dieu qui permet tout cela… Vous connaissez bien cette approche.

“Pour peu que vous vous arrêtiez à vous-mêmes, cherchant à savoir qui vous êtes et quel est votre vrai nom, vous serez stupéfait de votre impuissance à vous saisir, à vous identifier parfaitement avec ce centre de votre être qu’une zone obscure vous dérobe toujours.” N-D de la Sagesse, p. 16

A 14 ans il se fait lire le Sermon sur la montagne par un ami protestant qui habite la même maison que lui. Il l’avait déjà entendu comme nous, mais il n’avait rien retenu, il n’avait pas accroché. Il en fut bouleversé, nous dit-il :

“L’Évangile devint pour moi la voix de Quelqu’un, la voix d’un ami, et ces mots étaient pour moi une confidence personnelle, qui s’adressait au plus profond de moi-même. Depuis ce temps-là, l’Évangile m’est devenu tout à fait personnel.” (p.135 Ta Parole comme une Source)

Et beaucoup plus tard, c’est surement en revivant dans sa personne les souffrances qui conduisirent cet ami d’enfance au suicide qu’il écrivit trois textes sur ce sujet. N’était-il pas scandaleux il y a 40 ans d’entendre le message suivant sur le suicide :

« Il y a, bien sûr, des douleurs physiques ou morales d’une telle acuité, ou d’une constance si implacable ou d’une durée si longue, qu’elles défient l’héroïsme adulte même le mieux trempé et appellent la morphine, la mort ou le suicide, sinon l’obscure détente de la démence ou du crime…. »

Et il ajoute toutefois : “Les exigences d’une vie authentique peuvent seules charpenter une croix à notre mesure.”

La réalité divine lui apparaît donc grâce à cet ami qui sut y mettre son coeur et sa compréhension. Ni la religion, ni les sermons, ni la théologie officielle n’avaient satisfait sa quête, et il garde comme critère de toute vérité et de toute sa vie cette manifestation d’une présence par un contact.

“Ce sentiment d’une présence invisible qui se joue à travers une histoire humaine jaillit d’un contact et non d’un raisonnement. L’évidence dont il se nourrit ressemble à la lumière où confluent deux intimités qui se découvrent transparentes l’une à l’autre. ” (La Pierre vivante p. 22, citée par Vincent p.20)

En 1956, dans un sermon à Lausanne, il allait jusqu’à dire ceci:

“Ce n’est pas un hasard que la mission apostolique, la mission conférée par Jésus à ses apôtres au soir du Jeudi Saint, ait eu comme prélude le Lavement des pieds. C’est les envoyer dans le monde, non pas pour imposer au monde un système… Jésus allait mourir du système, à travers le jugement des docteurs et des théologiens ! Il s’agissait d’apporter au monde tout simplement le service d’un dévouement consacré à tous et où chacun aurait la révélation de la Tendresse Divine.”

Zundel devait être mis de côté par son évêque durant toute sa vie de prêtre. Il y a ressemblance entre le Christ et ce mystique fou de Dieu.

A 22 ans, il est ordonné prêtre mais pendant six ans le malaise spirituel demeure et s’accroît même, au point de menacer son équilibre affectif, dira-t-il aux soeurs de Matarieh, peu de temps avant sa mort. Écoutez ce qu’il dit de lui-même en parlant de son ami prêtre Enrico Ferrero en 1972, au retour de sa prédication de la retraite au Vatican:

.. « il ne put jamais occuper un poste important: il dut se contenter des miettes dans le ministère pastoral après un vicariat très bref – il fut affecté à des postes de campagne, à des chapelleries… c’est-à-dire que sa vie fut soumise à une constante humiliation »

On le dénonce et il s’en va à Rome pour qu’il reprenne le sens catholique…Pourtant je vous assure qu’il avait le sens catholique pour pouvoir dire en 1953 aux soeurs de l’Oeuvre Saint-Augustin:

« Je dois même toute la direction de ma carrière à une dénonciation portée contre moi par un prêtre, en qui j’avais la plus grande confiance. Ce prêtre a eu une défaillance comme tout le monde et, malheureusement pour lui ou pour moi, je l’ai su, bien à mon corps défendant. Il a su que je le savais, il a eu peur, il avait une situation: il a eu peur pour lui et il m’a dénoncé à l’évêque pour ma doctrine, pour mon orgueil. L’évêque m’a appelé et il m’a envoyé par le monde, pour ma plus grande joie et pour ma plus grande bénédiction. Mais il ne m’a pas écouté. Je revois encore Mgr Besson venant me trouver à Paris dans la sacristie où je moisissais et me disant: “Ce n’est pas ce que je voulais pour vous.” Moi non plus !

J’en remercie le Seigneur. Tout s’est bien passé. Cela a réussi. Mais est-ce une manière de traiter les hommes comme des fantoches, en ne les écoutant pas? »

(p.53, Avec Dieu dans le quotidien.)

Docteur en philosophie, il ne peut retourner en Suisse et aboutit à Paris, méconnu des siens et il en souffre. Il se trouve en exil, un premier, et il en connaîtra deux autres au moins. Il n’en pouvait plus de collecter les tarifs et de s’occuper de la sacristie et il est accueilli par les bénédictines rue Monsieur pour les prochains 18 mois. Il rencontre parmi tant d’autres un certain Montini. futur Paul VI, et c’est alors qu’il écrit son premier livre: Poème de la sainte liturgie.

« J’ai été très frappé, au moment de mon adolescence, dans l’Abbaye bénédictine où j’ai fait une partie de mes études, par les correspondances qu’établissait la liturgie, célébrée avec une intériorité incomparable, entre le monde sensible et la vie de l’esprit. Le spirituel s’incarnait, la matière se spiritualisait, l’unité du monde se recomposait sous mon regard émerveillé. »

Puis c’est un deuxième exil, à Londres, où il s’initie à l’anglicanisme et où il apprend l’anglais pour comprendre en profondeur les textes entre autres du Cardinal Newman: Apologia pro vita sua.

“Je crois que c’est à cette époque (à Paris et à Londres en 1929) que j’ai trouvé ma pensée à moi”, écrit-il. Il a trente-deux ans. Le Christ a manifesté la sienne à cet âge aussi…

Sa recherche de la compréhension l’incite à apprendre la langue dans laquelle se sont exprimés d’autres chercheurs de Dieu. Que ce soit l’hébreu, le grec, l’arabe. On y reviendra. Et après ce détour en Angleterre, il subit un troisième exil en Égypte.

…J’ai souvent participé à la liturgie anglicane de Saint Paul et de Westminster Abbey, à Londres, à la liturgie russe de Jérusalem ou à Paris, ou à la liturgie gréco-arabe melkite en Égypte et j’en ai toujours été très profondément ému.” pp. 172-173, édition Sigier 1986.

Mais cette pensée est encore théorique. Il est loin de l’avoir expérimentée. Ce passage ne se fit pas sans heurt:

« Combien j’ai peiné pour apprendre la pauvreté de Dieu, je veux dire pour mettre la pauvreté de Dieu dans ma vie et aussi pour connaître le Dieu Pauvre. Combien j’ai peiné pur ne pas entrer dans les discussions. Combien j’ai peiné pour prendre la dernière place. La pauvreté de Dieu devient tous les jours plus claire pour moi, tous les jours plus exigeante : c’est tous les jours à recommencer et à me convertir de nouveau chaque matin.”

Et dans Morale et Mystique, Sigier, 1986 (écrit en 1961), p. 107

« Il faut longtemps faire ses gammes dans l’austérité du débutant, astreint aux exercices qui ressemblent souvent à une corvée. Mais c’est uniquement pour passer du dehors au dedans, jusqu’à ce que le chant intérieur ruisselle des doigts devenus musique. Il faut traverser parfois d’interminables déserts, mais l’on marche toujours sous l’aimantation du puits où la soif s’étanchera à l’ombre des palmiers qui règnent sur l’oasis. Tous les chemins sont, à certaines heures, des chemins de Croix… »

Il fallait donc que de l’esprit sa pensée descende dans le coeur. Il lui fallait en faire l’expérience profonde. Et au contact de saint François, il a rencontré dans la Pauvreté une personne, elle s’est métamorphosée en Visage qu’il n’oubliera jamais. C’est même grâce à cela qu’il put passer à travers ses années de mise au rancart. Et « cette pauvreté sera la Trinité, l’Être absolu est relation dira-t-il, et l’homme y puisera sa liberté, son être en Le laissant devenir en lui ce qu’il nous propose sans nous imposer quoi que ce soit »

La vérité doit devenir nourriture et non bagage le long de notre route.

En 1937 il est envoyé étudier à Jérusalem (pas vraiment un quatrième exil cette fois ) et il prend sa tâche au sérieux. Il apprend l’hébreu, le grec et l’arabe ! Quand il citera la Bible, quand il parlera d’Ancien Testament, quand il interprètera l’Évangile, il saura de quoi il parle. Ce ne sera pas une légère estimation temporaire d’un sens affectif ou sentimental d’un texte qu’il déchiffrera, mais bien une lecture interne de cette parole, un Évangile intérieur quoi…

Puis il rencontre l’Islam et interroge le Coran en arabe.

L’Ancien Testament, comme le Coran, considère Dieu dans ses rapports avec le monde, mais non pas dans ses rapports avec Lui-même. Dieu n’est pas solitaire, dira-t-il, car il serait alors le narcissisme extrême.

L’immense nouveauté de la confidence trinitaire que nous fait le Seigneur, c’est qu’elle nous introduit dans la vie intime de Dieu… Il est Charité parce qu’Il n’est à pas solitaire, parce qu’il trouve l’Autre en Lui, parce qu’il n’a de prise sur son être qu’en se communiquant….   texte de 1973.

Et la Trinité sera le pôle autour duquel toute sa pensée se concentrera. Je vous recommande un livre de Paul Debains qui nous le rappelle en quelque 70 textes-citations de Zundel , s’étalant de 1959 à 1975.

En synthèse, donc, Maurice Zundel a su se libérer du dualisme en empruntant à l’Orient sa mystique de l’Unité. Il a éprouvé dans sa chair la douleur de la maladie et la crainte de la perte de sa raison, et il a transformé cette souffrance en prière de confiance. Il a expérimenté le refus des siens, de l’Église même et il a pourtant opté pour l’obéissance dans sa libération. Il a été trahi et a su pardonner et même remercier l’heureuse dénonciation qui lui a valu sa rencontre avec la Pauvreté. Il a joué avec les concepts scientifiques et philosophiques de son temps et a goûté à ces plaisirs réels, et s’en est difficilement séparé pour maintenir le dialogue intérieur avec une Personne. Il a approfondi ses connaissances avant de se laisser aller à ce qui aurait pu être des illusions mystiques ou religieuses sans ce fondement.

Comprendre : un déclic nous fait saisir la réalité que nous suggéraient les mots usés que nous utilisions pour susciter cette rencontre

On demande aux baptisés une “parole d’homme ressuscité” et non des “discussions” d’idées. Zundel a été un tel chrétien, qui a découvert son nom et dans cette découverte même nous force à trouver le nôtre et ainsi à devenir le Christ des autres, à nous effacer pour que tous voient l’amour de Celui qui nous fait aimables.

“Si notre vie n’est pas transfigurée, si nous n’apportons pas la joie,…si la vie n’est pas plus belle à cause de nous, si les autres ne sont pas plus libres et plus heureux à cause de nous, comment voulez-vous qu’ils sachent que Dieu est là ? ”

Luxembourg, 1963, cité par Debains p, 212

Sa vie est témoignage de l’action du Christ en lui. Toute autre chose aurait été trahison, mensonge ou usurpation. Il conversera avec Dieu pour pénétrer dans ce royaume, cette Trinité, cette révélation impossible à imaginer sans le témoignage de Celui qui en “faisait” partie, qui en était partie, donc qui parlait d’expérience intime de Dieu.

D’ailleurs en 1953 Zundel parlait de Dieu comme un évènement dans notre vie (et ainsi reprenait le thème de notre rencontre de ce soir ) dans le titre qu’il donnait à son livre d’alors: La Pierre vivante.

Il nous faut donc partager notre expérience de Dieu en écartant les fausses images ou en décapant notre conscience de ses préjugés en scrutant les signes pour retrouver l’intérieur de l’Évangile. Dieu intervient non comme une cause mécanique, mais en changeant la perspective, en jetant un regard nouveau sur les évènements… Dieu intervient comme un Amour qui transfigure les évènements…

Mais pour y arriver, il faut que notre oeil soit exercé, tout comme l’oeil de l’astronome peut voir ce que le commun ne voit pas. Il nous faut fréquenter le nouveau Testament surtout pour que les réflexes de Jésus deviennent les nôtres. Tant que nous réagissons biologiquement, nous ne sommes pas humains, encore moins chrétiens…

Prenons un exemple de cette découverte du passage d’une conception initiale puérile à la compréhension adulte du discours de Dieu. L’histoire du temple sert à nous démontrer que Dieu-Trinité s’occupe de l’humain, qu’Il veut habiter avec lui, chez lui jusqu’à entrer chez lui. On est passé d’un autel à l’Arche, puis à la tente, puis au temple, puis la Samaritaine qui se fait dire que le temple est à l’intérieur de soi.

Jésus a pourtant fréquenté le temple avec respect : il s’y rendait à Pâques, à la Pentecôte ou à la fête des tentes ou en souvenir de la Dédicace (Hanoukka).

À première vue le Temple de Jérusalem est LE lieu sacré, l’endroit où Isaac a failli être immolé, où Jacob a eu sa vision de l’échelle, où l’arche a été transportée, où on a reconstruit et agrandi le Saint des saints….avec des voiles pour séparer l’emplacement des fidèles de celui des prêtres .

Mais ce temple ne donne pas l’assurance automatique de la protection divine, comme le dira Jérémie. C’est la conduite morale qui est gage de la protection divine, dit-il. C’est le saint des saints qui est ouvert à tous lorsque Jésus meurt sur la croix et que le voile du temple se déchire. On voit qu’il n’y a rien du tout dans le saint des saints, que c’est ailleurs qu’il faut chercher Dieu. (Cependant on remarque aussi que la lumière pénètre dans ce lieu secret, tout comme la lumière a pénétré dans le tombeau lorsque la pierre a été enlevée.)

“Le grand évènement pascal auquel nous nous référons c’est précisément l’écroulement du Temple antique. Désormais les rapports entre l’homme et Dieu n’auront plus lieu par le truchement de rites extérieurs ! Il n’y a pas dans le christianisme de rites extérieurs car les sacrements …sont tous chargés de la présence et de la Vie de Notre-Seigneur …” Zundel

Les disciples ont mis jusqu’à la Pentecôte pour comprendre cela et nous ? après 20 siècles, où en sommes-nous ?

L’expérience à laquelle nous sommes convoqués c’est de rendre témoignage à ce Dieu intérieur.

Qu’arrive-t-il si nous cessons d’être transparents, de vivre cet amour en se donnant ? Alors la lumière s’efface, tout le dogme redevient une formule et se matérialise, tous les sacrements se changent en rite extérieur, toute la hiérarchie devient une tyrannie, toute l’Église devient une perte de temps et une absurdité, toute la Bible, un tissu de mythes. Il faut à chaque instant recommencer, retrouver ce contact avec nous-même, naitre en nous perdant en Dieu. p. 358

Nous sommes invités à passer de l’Ancien au Nouveau Testament, des préceptes du décalogue de Moïse au Sermon sur la montagne, d’une religion extérieure à une expérience de Dieu en soi (temple détruit = Dieu en nous). L’échec de Dieu qu’est la croix est ce qui distingue le Nouveau de l’Ancien Testament. Dieu meurt au lieu de triompher. Dieu nous attend au lieu de nous écraser. (TVML p.134)

Jésus vient nous révéler un Visage de Dieu qui n’était pas encore apparu, …qui nous engage dans une réciprocité si profonde que l’action de Dieu y est conditionnée par notre consentement. p. 253

“Le Christ nous apporte et nous révèle de Dieu une expérience unique. Il faut bien dire “expérience”, car la connaissance de Dieu est toujours liée à l’expérience que l’on en fait…

Il n’y a que le Christ qui ait une véritable expérience de Dieu, puisque le Christ a réussi à concilier les inconciliables. »

L’Évangile intérieur nous fait voir qu’il y a des moments dans la vie de tout chrétien où l’on a besoin de crier avec Marc et Matthieu : pourquoi m’as-tu abandonné? et de voir, comme Jésus, que le Père écoute et répond, en dépit des apparences contraires humaines. Et encore, en d’autres moments où, comme le Jésus de Luc, on trouve un sens à notre souffrance dans la possibilité et la force de dire : je pardonne et je me confie entièrement dans les mains de Dieu. Et enfin, comme le Jésus de Jean, il y a des moments où nous nous sentons forts et où nous sentons que la souffrance et le mal n’ont aucun pouvoir sur le fils de Dieu ni sur ceux qu’il a appelés à le devenir.

Nous avons à nous demander si nous sommes prêts à tout quitter pour suivre Jésus, comme les premiers disciples, ou si nous sommes prêts à tout quitter pour fuir Jésus, comme le dernier disciple qui abandonna jusqu’à son vêtement pour s’enfuir ?

Où en sommes-nous ?

Quand on est seul avec Jésus comme l’a été Pilate, on ne peut éviter de Lui répondre, la Vérité est devant nous pas pour nous condamner mais pour nous guérir (Orient). La mort nous met dans cet ordre de vérité. Mon expérience en soins palliatifs m’en a fourni une illustration : Maman pour visage qui ne trompe pas, qui ne triche pas, qui ne feint pas, qui nous accorde d’avance tout son amour. Dieu est mère. VD pp.96-97

Mais puisque nous sommes des humains en route, nous ne sommes hélas pas encore libérés de toute la lourdeur de notre sensibilité, de nos concepts et de nos émotions-réflexes : nous avons besoin de témoins pour nous inciter à continuer notre démarche de re-naissance. Et dans cette inquiétude vitale, nous avons besoin de nous fier à quelqu’un qui éclaire, qui entraîne, qui nous enthousiasme et qui nous relance avec des certitudes. Pour certains comme nous c’est Zundel qui est ce phare qui nous indique la route.

Ottawa, 8 février 1998

Monsieur Grégory Charles,

A mon avis, ce prêtre suisse décédé en 1975 mais tué pratiquement par l’Église organisée, l’Église-institution pour plus de 20 ans à cause de ses idées trop osées, a écrit un nouveau Testament tellement ses prières sont révélatrices du sens que le Christ a donné à toutes ses interventions. Il est une nourriture dense, simple, joyeuse, libératrice en un mot et tellement compréhensif face à tous les problèmes contemporains. Sa spiritualité nourrie d’expérience d’abord est stimulante et provocatrice même pour les plus gauchisants de l’Église actuelle. Quelqu’un qui voulait présenter la Bonne Nouvelle aux enfants par des peintures, de la musique, de la danse, enfin par toute autre chose que des concepts abstraits, c’était suffisant pour déséquilibrer la hiérarchie et faire peur parce que trop beau pour être vrai

Le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s’ils voyaient l’invisible (Paul VI, 7 février 1991 ) : on peut être docteur en théologie sans avoir la foi…

L’Église a peut-être été trop longtemps de son temps en reproduisant la structure hiérarchique et civile des siècles, mais elle n’est pas de son temps, elle doit l’orienter vers son terme qui ne fait pas partie du temps, mais qui nous est présenté dans le temps. C’est pourquoi nous avons à devenir humains et dépasser cette conception qui fait de nous la pointe de l’évolution du règne animal seulement.

La nature avec l’éclipse et la super lune ce soir, peut nous rappeler, si nous sommes tant soit peu poètes, à ne pas cacher la lumière, à passer de la noirceur à la pleine révélation bien éclairée de ce satellite qui lui doit d’être visible.