La sainte trinité

Fnn 39 0604 Retraite à Val Saint François

 

 

VIVRE, C’EST ENTRER DANS L’EXTASE DE LA SAINTE TRINITE

 

Narcisse, fils d’une déesse, objet de toutes les séductions des nymphes sans en éprouver aucune, découvrit un jour sa propre beauté dans le miroir tranquille d’un étang. Il en devint amoureux et, voulant saisir son image, il tomba à l’eau et périt. Impossibilité de l’être de se saisir, lorsqu’il ne veut que se saisir lui‑même… Narcisse a perdu sa beauté et sa vie pour s’être cherché lui‑même.

Les hommes ont conçu Dieu comme une sorte de Narcisse se complaisant en lui‑même. Les anciens et même les chrétiens ont dit : Dieu a tout créé pour lui‑même, pour sa gloire. Cette formule, partiellement vraie est pourtant opprimante pour l’esprit. La sainteté, c’est agir pour autrui.

Nous connaissons Dieu par la nature, par notre conscience, nous le connaissons à travers la vie. Contradiction déchirante : Comment Dieu peut‑il être un mouvement vers soi ?

Dans l’Ancien Testament, on n’entre pas encore dans la vie intérieure de Dieu. Il est toujours seul vis‑à‑vis de lui‑même, qui ne doit d’explica­tions à personne, dont la volonté est la raison d’être, la raison dernière de tout.

Le Dieu du Nouveau Testament est tout neuf, il nous fait entrer dans la vie intérieure de Dieu, il répond aux appels les plus profonds du cœur humain. L’Ancien Testament ne pouvait pas connaître l’altruisme de Dieu, car il ne connaissait pas la Trinité. La Trinité répond à l’angoisse de l’homme.

Le Judaïsme reproche au Christianisme une sorte de polythéisme, d’avoir rompu l’unité de Dieu. Le Musulman dit : il n’y a de Dieu que Dieu. L’amour solitaire ne peut exister, puisqu’il retourne à lui‑même. Le Christianisme seul a répondu à la question que se pose l’homme : Comment Dieu est‑il saint ?

Dieu est complètement étranger s’il n’a de rapport avec personne, s’il ne s’apparente pas à notre conscience, à notre cœur. Dans l’échange divin qui s’accomplit entre le Père, le Fils et l’Esprit saint, le mouvement d’amour, de connaissance, ne va plus de soi à ‘soi. Il va du Père et du Fils vers le Saint-Esprit comme les battements d’un cœur. Rien n’est approprié à aucune des trois personnes divines, puisque le Père n’a conscience de soi que dans le Fils, le Fils que dans le Père et que l’Esprit repose sur le Père et le Fils.

Narcisse se perd parce qu’il s’aime et que cet amour est stérile. Aimer, c’est être un autre, c’est habiter un autre. N’être plus soi, à soi, mais à un autre. Il n’est donc pas difficile de penser qu’en Dieu, il en est ainsi à un degré de sainteté infini.

Dieu ne possède pas son être, ce n’est pas un capitaliste, il est au contraire don pur. Narcisse périt parce que vivre, c’est se donner et que vivre pour soi, c’est périr. Le mot extase, étymologiquement, veut dire  » sortir de soi« . La Trinité est une extase. La création est comme le débordement de son extase, le jaillissement de Dieu.

Etre une créature, ce n’est pas être un jouet dans les mains de Dieu, c’est être aimé de Dieu de façon unique. Nous aimons les être en série, en gros. Les êtres s’aiment en aimant leurs émotions, ils aiment ce qui monte vers eux, le besoin qu’on a d’eux, ils aiment ce qui atteste leur propre valeur dans les êtres, leur trouble qu’ils confondent avec l’extase. Il est très rare qu’ils aiment dans un être ce qu’il a d’unique.

Pour nous, tous les cailloux sont semblables. Pour Dieu, ils ne sont pas semblables, tout est unique et plein pour Dieu. Dieu ne sait pas aimer en série, sa tendresse pour chaque objet, chaque être est unique.

La vocation de la création est extatique. Elle jaillit tout entière de ce débordement de la vie de Dieu, de l’extase trinitaire. Si la création se refuse, c’est la catastrophe, car c’est son échec. C’est le de profundisde l’univers et de Dieu, un avortement de la création.

La Trinité existe indépendamment de l’Incarnation et avant. Le mystère de Jésus n’ajoute rien à la Trinité, il nous la révèle. C’est la condition même de la sainteté de Dieu.

Avoir son centre de gravité en Dieu. Bouddha est probablement un très grand saint, Mahomet est peut-être saint. La différence entre eux et Jésus‑Christ, c’est qu’ils restent Bouddha et Mahomet et qu’en Jésus, l’homme n’est plus rien, car son moi, c’est Dieu.

Jésus Christ n’a pas dit :  » C’est moi qui suis Dieu, mais c’est Dieu qui est moi« . Il confesse qu’il est dans un tel état d’anéantissement, de dépossession de soi, d’extase et de don qu’il n’est plus son moi, mais c’est Dieu qui le possède. Rien en lui ne peut jouer que pour Dieu.

Le mystère de l’Incarnation est un mystère même pour Jésus dont l’âme ne peut épuiser complètement la divinité. Nous sommes tentés, par les images, à penser que l’Incarnation est un changement de Dieu en homme. Or, en Jésus-Christ, l’homme est devenu présent à Dieu comme Dieu est devenu présent à l’homme. C’est un mystère que l’âme humaine n’épuisera jamais, c’est une direction dans laquelle l’âme pourra s’acheminer. En Jésus, l’humanité est devenue présente à Dieu. Nous avons épaissi le langage chrétien.

Décoller de soi pour aboutir à Dieu. En Jésus-Christ, le mouvement est complet, achevé. Il est lui non pas parce qu’il a usurpé la divinité, mais parce qu’il est tout donné.

Le mot extase est le mot le plus dépouillé pour parler du sujet. La liturgie est un acte extatique.  » Ceci est mon corps, ceci est mon sang » : l’humanité en disant cela s’incorpore à Jésus Christ. Les sacrements sont la matière libérée.

L’art, c’est l’effort pour mettre la matière en état d’extase, c’est cet élan qui fait passer la matière à la vie de l’esprit. L’art de Dieu, c’est Jésus Christ. Dieu accomplit dans tous les éléments naturels son élan extatique.

La morale chrétienne n’a pas d’autre objet que d’accomplir l’extase de l’univers. Dans tous les domaines, Dieu nous sort de nous, pour que nous ne périssions pas comme Narcisse dans la contemplation de nous-même, pour que nous vivions, puisque vivre, c’est se donner.

La morale, ce n’est pas une limite, c’est un privilège. Nous qui sommes libres, nous pouvons créer notre être selon Dieu en lui apportant l’ouverture sur Dieu. Extase est le mot le plus pur de limites. Lettre d’Oscar Wilde (De profundis).

Maurice Zundel
Fnn 39 0604 Retraite à Val Saint François