SUR LE PPOBLEME DU MAL
REPONSE DU PERE A UNE LETTRE DE B.P. NACCACHE
Maurice Zundel
Lausanne, septembre 1972, manuscript inédit de l’A.
Dans l’expérience spirituelle, Dieu est perçu comme l’Esprit, source infinie de Vérité, d’Amour et de Liberté. (Jean, 4.24)
C’est par rapport à ce Dieu-là, vécu comme l’origine de l’esprit, que le problème du mal se pose.
» Rien n’empêche d’admettre que le Dieu intérieur soit aussi le Dieu Créateur. Rien ne s’oppose à ce qu’il soit le Créateur de tout l’univers, » est à entendre par rapport au Dieu‑Esprit, qui est l’expérience fondamentale à laquelle on se réfère toujours et d’où naît l’objection.
Si Dieu n’était pas Esprit, il nous serait indifférent que le monde eût été créé par n’importe quel être, lequel, de toute manière, ne serait pas le Dieu qui intéresse l’esprit. Si le Dieu intérieur est le Créateur de ce monde‑ci, comme je le crois, ce n’est pas de ce monde‑ci tel qu’il est. (Romains 8, 19‑24)
Comme nous sommes enracinés par notre organisme dans le monde physique, il est normal de penser que le monde physique est enracinable (immatériellement) dans notre esprit (il est objet de science, il est connaissable par l’esprit, il est perceptible esthétiquement, il peut inspirer l’art, la contemplation). La création, du côté de Dieu, semble donc répondre à un seul dessein, à un seul geste créateur, dont la fin, le but, est l’esprit, c’est‑à‑dire une possibilité de répondre, de toutes les créatures, à l’Amour de Dieu. Les êtres matériels ne peuvent donner cette réponse qu’à travers les êtres doués d’esprit.
Autrement dit, tout l’univers matériel est comme le corps de l’univers spirituel qui doit l’assumer, l’élever, l’offrir. Faute de quoi, l’univers est divisé, disloqué et livré aux déterminismes matériels (péché originel).
Les lois de la nature, dont vous parlez, sont l’expression des déterminismes physiques livrés à eux-mêmes. Si ces déterminismes avaient été assumés par l’esprit (de l’homme ou de l’ange ou d’habitants intelligents d’autres planètes), ils seraient au service de l’esprit et n’auraient pas l’aspect féroce et catastrophique qu’ils ont si souvent.
La Rédemption suppose une reprise du plan créateur du Dieu-Esprit, en vue de rétablir l’unité entre le monde matériel et le monde spirituel, par la libération intérieure de l’homme et des créatures intelligentes, libération qui doit se communiquer à tout l’univers.
Le mal (privation d’un bien dû à tous les étages possibles) est ou bien réductible au bien (effort, fatigue pour se faire homme, pour créer une oeuvre, souffrance offerte ou volontairement assumée, la mort comprise, martyre, passion du Christ). Dans ce cas, le mal cesse d’être un scandale, une objection contre Dieu, puisqu’il est l’instrument d’un bien.
Ou bien le mal est irréductible au bien, alors il est vraiment le mal. Le mal absolu, qui ne peut être que la négation, le mépris, le piétinement de l’absolu dans l’homme (dignité, inviolabilité) ou dans la Nature, stérilisation de Bikini, comme la corruption des enfants, comme la torture des camps de concentration, comme l’assassinat ou l’avortement ou la pollution volontaire du milieu vital. Plus le crime est atroce et ressenti comme tel, plus se révèle en creux l’existence et la sainteté du Dieu‑Esprit auquel s’oppose le mal absolu.
Sans ce Dieu, il n’y a plus de mal absolu et, finalement, plus de mal du tout, puisqu’on n’est plus fondé à attendre aucun bien.
La Puissance de Dieu n’est pas limitée dans son ordre, qui est l’ordre de l’Amour. Comme il est Esprit, il ne peut vouloir qu’un univers‑esprit un univers libre devant lui, un univers appelé à se choisir, un univers qui peut dire oui ou non, un univers qui peut le refuser et le crucifier, ‑ tant qu’il n’a pas reconnu et accepté son Amour, car Dieu ne lui inflige pas l’existence, il la lui offre ; et cet univers (en nous) a à la faire sienne, en la recevant comme le don de l’Amour, par l’amour, c’est‑à‑dire en s’offrant à son tour, selon le rythme nuptial suggéré par saint Paul.
» Je vous ai fiancés à un Epoux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. » (2 Corinthiens, 11,2)
La mort peut devenir la plus haute affirmation de la vie, quand elle est offerte et volontairement assumée, comme le montre le Père Kolbe à Auschwitz, en mourant à la place d’un autre, qui n’est pas encore prêt à faire de sa mort un acte de vie.
En conclusion : le monde ne nous est pas donné tout à fait, nous avons à le faire, comme nous avons à nous faire.
» Dieu a créé des créateurs » (Bergson), justement parce qu’il est Esprit. Son innocence n’est pas en cause, puisqu’il est la première victime du mal, jusqu’à la mort de la Croix, aussi longtemps que toutes les créatures spirituelles n’auront pas accompli leur vocation.
D’où, le mot de Pascal :
» Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. »
Lettre au Romains 8,29-29
19 En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance
21 d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu.
22 Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.
23 Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.
24 Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ?
25 Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
26 Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.
27 Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.
28 Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour.
29 Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères.