Mort et résurrection du Christ

 

Il importe de voir dans la mort du Christ le signe d’une contradiction, d’une opposition à l’Esprit, puisque l’Esprit, c’est le pouvoir de ne pas subir, de ne pas subir les déterminismes cosmiques, de ne pas subir la loi de la matière, mais d’être lui-même source et origine. Et, par bonheur justement, la Révélation nous assure, dès les premières pages de la Bible, que ce n’est pas Dieu qui a inventé la mort pour l’homme, qu’il ne l’a pas voulue, qu’elle est le fruit de ce refus d’amour qui inaugure dans l’intemporel, qui inaugure la Passion de Jésus-Christ.

Si quelqu’un pouvait prouver cette contradiction entre la vie et la mort, c’est bien notre Seigneur lui-même. Quel rapport entre lui et la mort ? Lui que saint Pierre appellera le  » Prince de Vie  » (Ac. 3, 15), l’auteur de la vie, comment pourrait-il mourir ? Il y a une contradiction absolue entre la structure de son être, entre la structure de son humanité qui subsiste en Dieu, il y a une contradiction semble-t-il insurmontable entre son Humanité et la mort.

Aussi bien faut-il voir dans la mort de Jésus un miracle, d’une certaine manière, plus grand que celui de la résurrection parce que, justement, la mort est en contradiction avec les principes les plus profonds de son être.

C’est pourquoi, d’ailleurs, nous devons immédiatement conclure que notre Seigneur n’a pu mourir qu’en mourant pour nous. Il est mort d’une mort de substitution. Il est mort de notre mort afin de vaincre en nous la mort dans la mesure où la mort est liée au péché.

Il importe de souligner le caractère unique de cette mort de notre Seigneur, à savoir qu’il est mort de notre mort. C’est parce qu’il nous a assumés, c’est parce qu’il a pris notre place, c’est parce qu’il s’est identifié avec nous qu’il a pu mourir de cette mort atroce où il était confronté avec le péché jusqu’à ce que son Coeur se rompe et qu’il ne puisse plus supporter cette coexistence des ténèbres et de la lumière.

Il y a donc vraiment dans cette mort de notre Seigneur par rapport à sa structure personnelle, il y a un miracle, il y a quelque chose qui ne s’harmonise pas avec la loi intérieure de son être : c’est une mort de substitution. C’est une mort dans laquelle il s’identifie avec nous afin de vaincre notre mort et d’ouvrir dans ce champ de ténèbres une immense espérance d’atteindre un jour la lumière.

Si nous considérons cette mort de notre Seigneur, si nous la voyons bien comme une mort de substitution et d’identification avec nous, nous comprendrons que sa résurrection représente une exigence intime de son être.

C’est la mort qui est une contradiction, et c’est la résurrection qui est dans la logique du crand vivant qu’il est. Aussi bien ne faut-il pas comparer la résurrection de notre Seigneur avec la résurrection de Lazare ou du jeune homme de Naïm ou de la fille de Jaïre. C’est quelque chose d’infiniment plus profond qui jaillit justement de l’intimité de la Personne de notre Seigneur.

D’ailleurs, tant qu’il était dans le tombeau, la divinité ne l’avait pas déserté et, bien qu’il fût réellement mort, il ne devait pas être livré à la corruption. Du fait même de l’union hypostatique, du fait même de l’union de son humanité avec la Personne éternelle du Verbe, il y avait en lui cette exigence de resurgissement qui devait révéler le plus profondément sa Personne et le sens de sa mort.

Certainement, s’il était resté dans le tombeau, le scandale de ses disciples aurait été insurmontable : Dieu aurait paru complice de la plus effroyable injustice. Il fallait ce rétablissement pour que, dans l’Histoire, la suprême innocence apparût couronnée en divin mais, encore une fois, la racine de la résurrection se trouve dans la Personne même de notre Seigneur. Il est impossible d’admettre l’Incarnation sans voir dans la mort un miracle et dans la résurrection un rétablissement de cet équilibre de lumière, où resplendit l’union de la divinité avec la nature humaine.

Voici donc, au coeur de la nuit, cette annonce merveilleuse : voici que le tombeau est vide, voici que les femmes cherchent en vain un corps embaumé. Il n’a pas été livré à la corruption.  » Il est vivant. Il vous attend. Vous le verrez là où il vous a donné rendez-vous. » Nous savons donc – et c’est cela que nous voulons graver dans notre coeur ce soir – que Dieu n’est pas complice de la mort, que l’horizon qui nous est promis, ce n’est pas de périr, mais de vivre éternellement parce que, justement, cette mort qui est en contradiction avec la spontanéité de l’Esprit, avec sa puissance créatrice, cette mort a été vaincue par la mort du Seigneur et que la Résurrection de Jésus constitue les prémices, les prémices de notre propre résurrection.

Nous pouvons donc maintenant regarder la mort non pas comme un terme, non pas comme une séparation, non pas comme un déchirement, non pas comme une corruption intolérable, mais comme l’ensemencement dans la terre du grain de blé qui doit germer et resurgir en éternelle moisson. Et ce qu’il faut retenir dans la même ligne, c’est que, comme le dit notre Seigneur,  » Dieu n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants  » (Mt. 22, 32) qui nous appelle tous, spécialement en cette nuit irradiée par la lumière de la résurrection. Il nous appelle à être des vivants, à travailler pour la vie, à éviter ce non, ce négativisme destructeur qui atteint jusqu’aux racines mêmes de la vie.

Si la vie est jaillie de Dieu dans toute sa beauté, comme le proclame le récit de la Genèse, si Dieu a voulu une créature semblable à lui, si cette créature a été souillée par le péché, ce n’est pas pour toujours, ce n’est pas définitivement ; maintenant, elle est appelée à resurgir, elle est appelée à glorifier Dieu par sa beauté.

Nous avons à faire l’apprentissage de la résurrection en entrant dans ce grand  » Oui  » qui est Jésus. Vous vous rappelez le mot si admirable de la Seconde aux Corinthiens où saint Paul dit :  » En Jésus, il n’y a pas de oui et de non. En Jésus, il n’y a que le oui  » (2 Cor. 1, 19). En Jésus, tout est positif, en Jésus, tout est création, en Jésus, tout est miséricorde, en Jésus, tout est Amour, en Jésus, en un mot, tout est vie.

Si nous voulons donc entrer dans l’esprit de la résurrection, si nous voulons devenir nous-même un vivant cierge pascal, il faut que tous nos efforts tendent à quelque chose de positif, que nous évitions les critiques, les médisances, les calomnies, que nous évitions d’assombrir la vie des autres par le récit de nos propres infortunes, que nous ayons le scrupule de ternir la splendeur de la vie par un quelconque négativisme ; et c’est cela que nous voulons demander ce soir à notre Seigneur en acclamant sa résurrection dans la joie de l’Alleluia, nous voulons lui demander d’être des artisans de vie, des créateurs de vie qui apportent dans tous les gestes, dans toute la trame de leur vie quotidienne, qui apportent cette lumière adorable du triomphe de Jésus sur la mort et qui entrent à fond dans ce programme que nous rappelle saint Paul :  » En Jésus, il n’y a pas le oui et le non. En Jésus, il n’y a que le oui.  » Oh ! quelle prière splendide est celle-là que nous allons faire ensemble, chacun au fond de notre coeur pour propager la joie pascale :  » Seigneur, apprends-moi à être oui !  »

Maurice Zundel
Ta parole comme une source p. 329
Ed. Anne Sigier 1987