LES DROITS DE L’HOMME

Dans Recherche de la persone  (édition  de 1990 p. 223)

L’homme est sacré dans la mesure où il est consacré.

Sa dignité ne se fonde point sur lui. Elle a quelque chose d’infini qui le dépasse et dont sa nature ne peut rendre raison.

Ce nom d’humanité, qui est si beau, doit le respect qu’il suscite en nous aux résonances spirituelles dont il est chargé. Aussi bien ne désigne-t-il pas d’abord l’ensemble des hommes qui peuplent la terre, mais la qualité qui révèle en chacun la personne : l’être-source.

On confond régulièrement ces deux acceptions : la masse des individus qui est donnée et la valeur intérieure qui ne l’est pas. Il en résulte pratiquement qu’on donne raison à la multitude qui est le nombre : ce que la majorité décide est loi.

On peut admettre assurément la légitimité de cette formule, pourvu que l’on n’y voie qu’un moyen pratique de définir le droit (ce qui est droit)

Mais ce droit lui-même a son fondement en un devoir-être inscrit en notre essence et révélé par les aspirations profondes de notre nature, et non dans le nombre des suffrages qui le promulguent. Une majorité quelconque ne peut transformer l’erreur en vérité, ni le mal en bien. La loi a sa source première en cette exigence de droiture, où s’exprime la vocation de l’esprit.

Les besoins du corps comme tels, en effet, représentent bien des nécessités vitales pour l’homme autant que pour l’animal. Ils ne constituent point par eux-mêmes un droit. Leur méconnaissance et leur violation en l’homme ne deviennent crime qu’en raison de la destinée spirituelle à laquelle notre corps est naturellement associé (1).

On ne saurait trop insister sur ce point, ni marquer trop nettement l’indépendance du droit à l’égard de la force, même de celle qui l’exprime et le couvre.

Il ne peut naître en vérité, ni des désirs de la chair et du sang, ni de la violence égoïste des hommes, mais du devoir de consécration qui réclame de chacun le consentement de tout son être au règne de l’Esprit.

L’obligation rigoureuse d’assurer à tout homme une aisance assez large pour prévenir ses besoins matériels ne tend qu’à rendre chacun capable du don où réside sa suprême noblesse.

Il n’importe qu’on nous accorde le bonheur si l’on nous refuse la dignité.

Rien ne dit mieux que ce mot de Jean Guéhenno, la direction des réformes à entreprendre pour rendre le monde plus humain.

Nous ne revendiquons pour chacun tous les droits de l’homme qu’afin de permettre à chacun l’exercice de tous ses devoirs .

Il faut sans doute manger pour vivre. Mais, qu’est-ce que vivre ?

Toute la question est là.

Dans tes yeux, ô vie, je regardais naguère dit Nietzsche, et dans un abîme il me sembla plonger .

Au fond de soi-même, chacun de nous perçoit confusément cet abîme et il sent bien que, ses besoins matériels fussent-ils entièrement satisfaits, la vie ne ferait que commencer.

Car l’homme ne vit pas seulement de pain.

Maurice Zundel,

Dans Recherce de la persone, 1936, Desclée

(1) Un matérialisme absolu entraînerait logiquement l’extinction de tout droit. Il n’y aurait plus que des nécessités soumises à un déterminisme fatal, où il ne saurait être question de liberté. L’inviolabilité de la personne repose tout entière sur cette exigence divine, en l’accomplissement de laquelle se réalise son autonomie. Le droit est fondé sur cette capacité de don où doit germer l’altruisme absolu qui nous rapporte à Dieu, en nous affranchissant de toute servitude humaine. On ne saurait donc parler de droit sans adhérer, au moins implicitement, à une conception spirituelle de l’humanité, comme il n’en devrait être strictement question qu’à propos des personnes. Ce qui n’implique nullement que celles-ci n’aient point de devoirs imprescriptibles à l’égard des êtres non-spirituels