CRÉER DE LA JOIE DANS LA DOULEUR DU MONDE

 Légèrement revues par nos soins pour les rendre un peu plus lisibles – NDLR , ces notes d’une homélie de Maurice ZUNDEL donnée à Bex en 1950 font références à des conflits présents dans toutes les mémoires à cette époque. Il nous est facile aujourd’hui d’y mettre ceux qui régulièrement font la une de nos journaux et face auxquels nous nous sentons tellement démunis . Et pourtant …

La Reine de Hollande, durant la dernière guerre a protesté contre la violation du droit et de la justice, quand son pays fut envahi, comme si c’eût été l’évènement le plus épouvantable. C’était pour elle une telle abomination qu’elle ne trouvait pas de mots pour flétrir la violation de son pays. Ne s’était elle pas aperçu que la Pologne et la Norvège avaient subi la même violation, ne l’avait-elle donc ressenti ?

Quand tout va bien chez nous, nous ne ressentons pas le drame de la Corée et de l’Indochine. La moitié de l’Europe ne dispose plus d’elle-même. Elle est sous le joug communiste. Les deux tiers de l’Asie ne disposent plus d’eux-mêmes. Des milliers de prêtres sont tués, des millions d’êtres sont massacrés, sans foyer, sans racines, enfermés.

Nous savons très bien que nous sommes compris dans ces évènements, que nous ne pouvons pas ne pas en être affectés puisque le monde entier en pâtit. Nous pouvons, à l’improviste, être envahis, bombardés. A moins de se boucher les oreilles, de se fermer les yeux, comment  pouvons-nous continuer à croire que tout va bien?

Notre mission de chrétien, notre mission d’homme, est d’entrer dans cette douleur, de la vivre et, si possible, d’en tarir la source. Je ne dis pas cela dans le but de vous angoisser, mais parce que le temps presse. Si nous avons à souffrir dans notre foyer, dans notre profession, au plus intime de nous, voilà déjà une possibilité d’entrer dans le mystère de la rédemption, d’entrer dans la misère du monde, de sympathiser, de souffrir pour ceux qui ne le peuvent.

Alors, il faut nous hâter de créer de la joie. Peut-être que demain il nous sera impossible de rendre heureux ceux qui nous entourent. Demain nous pouvons leur être arrachés et alors nous ne pourrons plus créer pour eux de la joie. Il est nécessaire de faire provision d’espérance et de courage, de dilater toute notre puissance, d’aimer avant qu’il ne soit trop tard.

Il est monstrueux d’être cet îlot de paix, de sécurité au milieu d’un univers en douleur. Alors qu’il y a tant de larmes et de deuil, pouvons nous-dire que tout va bien parce que tout va bien chez nous ? Non. Nous avons à  lutter contre  nos instincts, notre égoïsme pour le salut du monde entier afin que le monde entier soit présent à notre cœur.

Pensons, en rentrant à notre foyer, qu’il y a une possibilité de créer de la joie, que nous ne sommes pas sous le coup d’une catastrophe soudaine. Sachons que ce répit qui nous est donné, est ainsi parce que Dieu, en ce jour, nous fait encore crédit pour que nous devenions ses intermédiaires pour le monde entier ! Faisons qu’une vague d’amour et de lumière se répande sur tout être ! L’amour n’est pas aimé. Faisons ce jour cette prière : demandons à Jésus ce sens de la réalité tragique afin que nous ayons à l’arrière-plan de notre être les misères d’autrui. Que chacun de nos actes soit un acte d’amour, une offrande, que chaque observation soit une joie ! Dieu ne peut entrer de force dans notre vie. Il frappe, il nous envoie au devant des autres comme des ambassadeurs afin que nous devenions des foyers d’amour et de joie.

Maurice Zundel, Bex, 1950