Maurice Zundel
Retraite à Val Saint François 1939
L’architecture résulte de la combinaison de la verticale et de l’horizontale, c’est là une donnée très importante. Si vous vous placez devant la façade de Notre Darne ou devant le Parthénon, vous serez frappé par l’équilibre de la ligne verticale et de la ligne horizontale.
La situation de la ligne horizontale n’implique pas de difficulté, puisqu’elle épouse le sol. Ce qui est plus difficile, c’est de tenir en équilibre la ligne verticale.
Cela est vrai aussi dans la vie spirituelle. Là aussi, il y a la ligne horizontale et la ligne verticale. Notre horizontale, c’est notre instinct, notre hérédité, nos habitudes, nos automatismes, etc. Notre verticale, c’est l’élan créateur, l’élévation de l’esprit et l’essor de la personne.
La pensée doit constamment se renouveler, à chaque instant, les mots changer de niveau si la pensée a fait un bon en avant. Si nous sommes sur le plan de l’esprit, les déductions ne peuvent se maintenir sur le plan horizontal.
Lorsqu’on prétend nous enfermer dans la logique, nous n’avons pas à opposer des mots à des mots. Si on peut dire d’une chose : » Elle est comme ça « , cela n’a aucun intérêt, c’est fini, classé. Ce qui est intéressant dans une découverte, c’est qu’elle troue l’horizon, c’est qu’elle ouvre une nouvelle perspective, qu’elle nous engage dans une recherche plus profond et qu’elle découvre un plan plus mystérieux.
Tout l’effort de la science tend à une saisie toujours plus rigoureuse et précise, car toutes les données précises doivent être un point de départ, chaque étape de la connaissance doit être une invitation au voyage.
La connaissance ne doit jamais avoir le goût du déjà vu, car le monde a toujours un nouveau visage.
La Bible est un livre sacré, divin, unique en son genre, mais pour en saisir la transcendance, il ne faut pas perdre de vue la ligne verticale, car il y a là aussi une ligne horizontale : le facteur humain, les particularités du sol, de la langue sémitique, les conditions de sa vie politique et économique, etc. La Bible est divine suivant la ligne verticale, elle ne l’est pas dans sa ligne horizontale.
La connaissance qu’on a actuellement des littératures sémitiques nous oblige à nous demander quel rapport il y a entre ces littératures et la littérature biblique. On a d’ailleurs opposé ces littératures à la Bible pour essayer de lui enlever son originalité.
En abordant la Bible, il faut donc étudier et tenir compte de toutes les dépendances que les textes offrent avec le terroir juif, c’est la ligne horizontale. Nous nous demanderons en face de ces textes à quel genre littéraire ils appartiennent et quelle est la structure de la langue dans laquelle ils sont écrits.
Avons‑nous par exemple affaire, dans les premiers chapitres de la Genèse, à une histoire ou bien à un poème épique de la création ? Le récit de Jonas est‑il une histoire ou bien est‑il simplement une satire pleine d’humour, destinée à flageller l’étroitesse de l’esprit juif et montrer que la miséricorde de Dieu ne s’adresse pas seulement à Israël, mais à tous les peuples ? Même question pour le Livre de Job. Si ce sont des histoires, on pourra analyser, mais si ce sont des poèmes, ils ont un sens spirituel.
De même le Cantique des Cantiques : poème à trois voix : le berger, la bergère et le roi ? Genre littéraire, code de lois, satire, légende, poème, histoire ?
Les Sémites envisagent l’histoire comme le déroulement d’un combat entre les dieux, on retrouve la même figure de style dans toutes les littératures juives, le mot Dieu dans la Bible n’est‑il pas souvent une forme de langage ? De même le mot armée, qui, Dieu merci, ne signifie pas des bataillons, mais des ordres de la Création.
Saint Paul nous montre Dieu créant les hommes comme le potier faisant des uns des vases d’élection et d’autres aussi. Un occidental ne conçoit pas cela. Le chrétien affirme que la cause première est Dieu. Le sémite n’a pas l’art des distinctions. Les particularités de langage peuvent avoir une grande importance pour l’intelligence des textes.
Tout cela nous amène à une grande prudence. Ce n’est pas si facile de lire la Bible intelligiblement : elle demeure encadrée dans le mystère. Ce qui importe, c’est de saisir le mouvement de l’esprit qui s’élance de cette horizontale.
L’Ancien Testament a passé dans le prisme de l’humanité de Jésus. La Bible suivant la verticale, c’est Jésus, la lumière de son aurore.
Saint Augustin dit que le sens de la Bible est multiple. Dans l’horizontale, c’est vrai ; dans la verticale, c’est faux. Les auteurs sacrés n’ont pas prétendu nous renseigner sur l’origine du monde, ils ont voulu mettre en relief l’action de Dieu dans la création. Il y a beaucoup de mythologie dans les textes anciens et, au point de vue historique, tout ne peut subsister.
Aux six jours de la création, on a voulu substituer l’idée de six époques géologiques. Cela peut cadrer avec les découvertes du 19ème siècle, mais peut-être plus du tout avec les découvertes du 21ème siècle.
Nous ne savons où situer le déluge et ce qu’il est, mais cela n’a aucune importance. Nous n’avons rien à dire du déluge biblique, pas plus que du déluge babylonien, le déluge peut être une période glaciaire, peu importe à quel événement géologique se rapporte le déluge. Mais ce qui importe, c’est que la catastrophe est en relation avec la faute de l’homme, le péché originel. La création est une harmonie : si la catastrophe arrive ensuite, c’est que l’homme a transgresse.
Il s’agit de tirer de la Bible la lumière qu’elle comporte.
Platon, les Grecs, Aristote, ont construit toute une mythologie au sujet de la Création. La philosophie des Hébreux est un emprunt aux Grecs. Tout ce que les Hébreux ont de particulier, ils le doivent à l’esprit de Dieu et la révélation éclate au sein de la ligne verticale comme une manifestation évidente.
Les mêmes données essentielles doivent être appliquées aux visions des saints (Thérèse d’Avila, Angèle de Foligno, François d’Assise) Dans leur vision, dans leur langage, nous retrouvons toute leur personnalité. Nous n’irons pas prendre dans un sens littéral tout ce qu’ils nous diront. Les révélation de sainte Thérèse ne sont pas tombées du ciel. A travers une certaine synthèse mentale, un certain mouvement spirituel s’est établi dans leur vie qui peut se communiquer à la nôtre, mais nous ne sommes pas tenus à croire à ces révélations.
Il faut se défier de citer les révélations des saints comme celles de Dieu. Dans tout ce que ces révélations ont produit d’authentique, il faut tenir compte de l’optique des gens, de la fabulation, des signes adaptés à leur esprit. C’est à travers ces signes que se déclenche le mouvement spirituel.
Les signes confirment la foi, mais ne sont que des signes.
Au sujet des prophéties, les mêmes réserves sont à faire. On a tenté de regrouper les prophéties chronologiquement, mais les temps sont comme télescopés, ainsi qu’ils le sont dans la vision de Dieu. On ne peut situer les prophéties dans le temps.
Dans un cas donné, il y a toujours de quoi rencontrer Dieu et de quoi le refuser. Oscar Wilde dit que Jésus est aussi bien l’affirmation des prophéties que leur négation. Il les réalise, mais à un plan tellement plus élevé dans la ligne verticale. Les prophéties sont un mouvement, une vie.
On ne constate pas un miracle. Lorsqu’on dit que les médecins de Lourdes ont constaté un miracle, ils ont simplement constaté qu’ils ne comprenaient rien et que les choses ne se sont pas passées, selon les lois humaines.
Tout ce qui, dans la Bible, dans la révélation des saints, n’est pas digne de la conscience humaine, ne vient pas de Dieu, mais de l’homme. Nous ne sommes pas obligés de croire tout ce que le saint Curé d’Ars disait, mais ce qui est vrai, c’est son action, son amour, sa flamme spirituelle qui convie les âmes à la vision de Dieu.
Le dogme n’est pas une camisole de force. On ne peut comprendre la doctrine de l’Eglise en dehors de la ligne de l Esprit. Les affirmations du Credo aussi doivent être prises dans la verticale : Jésus est monté au ciel, est descendu aux enfers… Qu’est‑ce à dire, si ce n’est qu’il a passé dans un plan de vie nouveau. Le ciel n’est pas plus en haut que l’enfer n’est en bas, car il n’y a pas de bas et de haut, si la terre est ronde.
Il faut retenir de cela que chaque époque a exprimé le surnaturel dans le langage qui lui était intelligible, chaque siècle a dit le message du Christ à sa manière, mais c’est toujours le même message.
SCA 27-11-03.