Recension du livre de Benoît GARCEAU,
De la liberté au don de soi. La voie de Maurice Zundel,
Médiaspaul, Montréal, 2014, 111p. Embrun le mercredi 11 février 2015
Benoît Garceau nous offre, dans son beau livre intitulé De la liberté au don de soi. La voie de Maurice Zundel, le précieux legs de sa longue et profonde méditation sur l’ensemble de l’œuvre de celui qu’il a découvert, en 1951, avec la lecture de L’évangile intérieur. Il nous aide à bien comprendre l’intention fondamentale de Zundel qui désirait dans tous ses écrits nous présenter une direction de pensée dont son itinéraire n’a jamais cessé d’être l’apprentissage. Ce livre de 111 pages se démarque par son originalité, son esprit de synthèse et la clarté de son style littéraire. Sans être une biographie, ni une collection de citations de textes inédits de Zundel, cet ouvrage de B. Garceau est le fruit du désir qui l’habite, depuis sa retraite comme professeur de philosophie et de théologie en 1997, de nous faire découvrir, mieux connaître et aimer ce génie mystique du siècle dernier en nous le présentant également comme un prophète pour notre temps.
Ce fin connaisseur de Zundel nous présente, à travers l’étude de tous ses écrits, une clef de lecture qui nous permet de mieux comprendre sa vision de l’homme et de Dieu. Cette clef se découvre à partir de l’itinéraire de Zundel, et elle a pour seuil son expérience de la liberté. Elle est selon lui une expérience décisive qui, tout en nous permettant de prendre conscience de notre humanité, peut être à la fois un critère universel servant à éclairer tous nos débats afin d’éviter la catastrophe de notre autodestruction planétaire. Cette liberté – tant recherchée chez l’homme révolté, et dont tout le monde se réclame sans pourtant en saisir la profondeur – nous en découvrons le sens avec B. Garceau en suivant la voie spirituelle de son maître. Il nous montre que Zundel voit en cette valeur universelle bien plus que l’affranchissement d’un pouvoir extérieur qui nous donne la simple licence de faire ce que l’on veut, pourvu que l’on ne nuise pas à autrui. La liberté, dans cette vision, est également bien plus que la multitude des choix que nous pouvons faire par le pouvoir de notre libre arbitre. Nous cheminons à travers cette étude avec Zundel pour prendre conscience des limites des conceptions extérieures et matérielles de la liberté. Limites que nous trouvons également dans les déclarations des libertés civiles dont s’inspirent nos chartes des droits et libertés. Cet essai nous montre comment Zundel trouve une voie de dépassement des conceptions extérieures et matérielles des libertés civiles en nous invitant à découvrir l’énergie d’une liberté intérieure qui nous appelle à être plus que la somme de nos besoins physiques et nos instincts psychiques. Être libre, dans cette vision zundélienne, c’est être capable de décoller de son ego, de s’oublier soi-même, en devenant un espace de don et de générosité dans l’ouverture de notre relation à l’autre. Or cette capacité de sortir de soi n’est pas une génération spontanée. Elle est une capacité spirituelle. L’essai de B. Garceau nous apprend comment l’expérience de la liberté de Zundel se formule à partir de la profondeur de sa vie spirituelle. Et le secret intime de cette vie repose dans le mystère de la naissance de notre humanité en Dieu et l’incarnation de Dieu dans notre humanité. Dans cette expérience, la liberté humaine devient le fruit de la rencontre d’une Présence intérieure qui est, au plus profond de nous-mêmes, le meilleur de nous-mêmes, et plus que nous-mêmes. La clarté obscure de cette heureuse rencontre spirituelle nous amène à nous perdre de vue. À l’écoute de la musique silencieuse de cette Présence ineffable, qui se dévoile sous les auspices de la Vérité, de la Beauté et de la Bonté, nous vivons l’expérience d’un ravissement qui nous permet de prendre vacances de nous-mêmes. Le don infini de cette Présence nous transforme de l’intérieur. Elle génère en nous la force et la capacité de quitter la prison de notre moi-objet, afin de devenir, dans l’espace-temps de notre liberté, des créateurs de notre vrai moi-personne. Garceau recueille tout au long de son livre les perles lumineuses des citations de Zundel, comme celle où il décrit, dans La pierre vivante, l’expérience de la liberté comme « La rencontre avec un Autre, intérieure à nous-mêmes, laquelle nous ancre en Lui et nous ouvre à nous-mêmes en nous libérant de nous-mêmes ». Ainsi notre auteur nous aide à comprendre pourquoi Zundel affirme, dans son dernier livre, que « Dieu est au cœur de notre liberté, comme la condition sine qua non de celle-ci : c’est ce que j’ai tenté d’exprimer dans tout ce que j’ai pu écrire. » (Quel homme quel Dieu).
Nous voulons aussi souligner la manière originale dont B. Garceau présente M. Zundel non seulement comme génie mystique, mais aussi comme un prophète pour notre temps. Il nous expose la manière dont Zundel est intervenu dans bon nombre d’écrits durant les années 30 et 40 pour chercher passionnément une solution aux problèmes économiques et politiques de son temps. Ces écrits nous rappellent que la dignité de l’être humain réside dans notre plus haute possibilité, celle de l’Esprit, qui nous appelle à être une source de don et de générosité pour notre monde. Mais pour devenir cet espace de générosité, nous nous devons de garantir un espace de sécurité à chaque être humain, et ce, en travaillant à établir le partage juste et équitable des ressources et des richesses de notre planète. Dans notre désir de devenir vraiment libre, nous voyons ainsi poindre à l’horizon notre devoir d’entreprendre la révolution qui reste à faire en soi pour notre monde. Au cœur de cette révolution intérieure, nous sommes appelés à devenir des agents de changement des valeurs de notre société en promouvant la défense du droit de chaque personne d’accomplir sa plus haute possibilité spirituelle, celle qui l’appelle à devenir une source de don et de générosité pour notre monde.
Il est beau de voir comment B. Garceau nous aide à découvrir M. Zundel, dans sa profondeur spirituelle, comme un prophète pour notre temps. La voie de Maurice Zundel qui est celle De la liberté au don de soi réveille en nous le désir d’entreprendre, chacun selon nos forces et nos capacités, la révolution qui nous reste à faire selon les lumières de l’Évangile. Cette voie de libération intérieure conduit à se laisser attirer par l’humanité de Jésus de Nazareth qui se révèle dans le don infini dans sa totale transparence à la Présence de Dieu. En Lui nous recevons et retrouvons la foi et l’espérance en notre humanité. Forts de cette foi et de la joie de cette espérance nous devenons ainsi capables de travailler librement à l’avènement d’un monde de justice et de paix où « La fraternité enfin, […] c’est Christ-en-toi, comme la liberté c’est Christ-en-moi, et l’égalité, Christ-en-nous. » (Recherche de la personne)
D’un ami de Zundel,
Sylvain Maurais
Lieutenant-colonel, CD JCL
Aumônier du Service de l’aumônerie royale canadienne