Le problème du chômage

 Extrait d’un article de Maurice Zundel publié dans la

REVUE INTERNATIONALE DE LA CROIX-ROUGE » N° 169 – janvier 1933

La cause première du chômage est la matérialisation de la vie publique. Avant l’effondrement des changes, la baisse des valeurs spirituelles.

Ce n’est pas qu’on ait cessé de parler de principes, et même de principes humanitaires. On a été jusqu’à en faire une religion. Mais ce n’est pas le corps de l’homme qui pouvait supporter le poids d’une telle vénération. Comme d’ailleurs on s’accordait de moins en moins à reconnaître à son esprit une valeur absolue et une destinée éternelle, il a bien fallu se rabattre, en fait, pour pallier la misère de l’individu, sur l’un des égoïsmes collectifs qui s’offrent au choix d’une humanité qui n’a pas assez de foi pour subordonner tout à l’Esprit

Pour glorifier la science et le progrès, la classe ou la nation, l’hygiène et le sport, on ne laissait pas de méconnaître l’éminente dignité de la personne humaine. L’homme esprit n’étant plus considéré comme la valeur suprême et comme la fin de la civilisation, on n’avait plus devant soi que des buts partiels qui allaient s’avérer antagonistes, faute de pouvoir se joindre en un point de vue suprême.

Plus on voyait grand dans l’ordre technique, sans considérer l’ordre humain, plus on risquait de sacrifier les intérêts des individus, et de manquer à découvrir la vie en s’abandonnant à l’ivresse de l’invention.

En fait, cette formidable activité, où tant de génie a pu entrer et tant d’altruisme, n’ayant point sa mesure au-dedans, n’a pu prendre l’essor universel qu’elle a pris en effet, qu’en s’engageant à produire la seule valeur universellement reconnue, parce qu’elle a pour fondement les communs besoins du corps, je veux dire la richesse matérielle dont l’argent est le signe et l’instrument :  » Gagner le plus possible, en produisant le plus possible, au plus bas prix possible. »

Il est facile de comprendre qu’une pareille formule ne peut se généraliser sans conduire à une catastrophe. Elle doit entraîner tour à tour la compression des salaires, l’accroissement du machinisme, l’offensive contre les marchés étrangers et les mouvements de repli du protectionnisme : autant de mesures qui tendent, directement ou indirectement, à la guerre, au chômage et à la révolution.

Si nous sommes pénétrés de cette conviction, si nous voyons dans la crise actuelle un événement spirituel d’abord, la preuve par le fait que le primat de l’esprit peut seul assurer une prospérité matérielle à face humaine, et si nous sommes résolus à faire tous les sacrifices nécessaires pour rendre l’économie à sa véritable fonction, qui est de procurer à tous les loisirs sacrés d’une vie suffisamment libre de la matière, pour entendre la voix de l’Esprit, – nous sommes en état de poser le problème du chômage, et nous l’avons virtuellement résolu. L’homme d’abord, et dans l’homme : l’esprit et dans l’esprit : Dieu.

Il faut donc avant tout, « renaître de l’Esprit », et consentir à tout quitter pour suivre son appel, et promouvoir son règne – renaissance intérieure offerte à chacun, et qui demeure son secret, mais qui n’en est pas moins sa première obligation.

Quiconque se dérobe à cette exigence ne veut pas sincèrement la solution de la crise, et refuse la contribution la plus essentielle à l’instauration d’une économie véritablement humaine. 0n ne peut que remettre ici chacun aux inspirations de sa conscience.

Il faut ensuite répandre cette vérité par tous les moyens que donne la presse, en entreprenant une campagne mondiale d’information spirituelle. On s’agite à l’intérieur de toutes les frontières, on accuse, on menace, et la dépression morale, et la haine aggravent jusqu’à la révolte la misère déjà si lourde des corps. Il ne faut pas permettre qu’on déplace plus longtemps le problème, qu’on cherche ailleurs que dans une apostasie générale de l’esprit, La cause profonde du mal.

C’est ce qu’il est un devoir d’établir, par une campagne prudente, généreuse, magnanime, qui soit une amende honorable de tous à l’Esprit si longtemps méconnu, et une humble invitation à tous à établir son règne dans l’humanité, en le laissant régner en soi.

Il y a une patrie humaine universellement humaine, dont nous sommes les membres en vertu des exigences de l’esprit, avant d’être les citoyens des peuples où nous avons nos racines terriennes : il y a une cité de Dieu que toutes les nations doivent concourir à former, de laquelle dérive, en définitive, tout ce qu’elles peuvent avoir de titres à notre obéissance et à notre amour.

C’est en voulant de toutes nos forces l’Esprit d’abord que nous assurerons, par surcroît, la légitime intégrité de nos patries terrestres.

Nous ne pouvons nous défendre contre le communisme matérialiste, qu’en réalisant la communion des esprits.

Une campagne de presse mondiale sous le signe de l’Esprit est une urgente nécessité.

Ce ne sont pas les chrétiens, nous l’espérons, qui voudront s’opposer à l’exaucement de la prière pour l’unité.

En dehors de ces motifs suprêmes et qui doivent demeurer tels, n’y a-t-il pas lieu de souligner l’erreur fondamentale, et pour dire le moins, le manque de réalisme des politiques nationalistes, dans une économie de plus en plus internationale ?

Nous ne pouvons pas vouloir nous barricader derrière nos frontières et nous attendre à ce que « l’étranger » n’existe que pour acheter nos produits, et faire prospérer nos affaires.

La vérité est qu’il ne nous est plus possible de résoudre nos difficultés qu’en tenant compte de celles des autres. Qu’il nous soit permis de dire ici, que toute notre volonté de paix doit s’employer à la rendre aussi désirable aux autres qu’elle l’est réellement pour nous.

(…)

Il nous faut donc reconnaître dans l’interdépendance économique, une nouvelle obligation d’élargir notre regard, et créer, selon nos forces, un mouvement d’opinion favorable à tous les sacrifices que pourrait nous imposer un examen impartial de la situation, quand bien même ce devrait être une révision  des traités, s’il était prouvé qu’ils ne répondent point aux exigences de l’humanité.

Spirituelle d’abord, puis internationale, ce double caractère de la crise que le monde subit ne peut faire de doute pour personne.

Les solutions qu’on en peut proposer doivent tenir compte, avant tout, de cette double exigence.

(…)

Maurice Zundel 

Note:   La  suite de l’article offre alors une série de mesures concrètes, que la revue jugeait «  ingénieuse aussi, parce que cette haute pensée le conduit à un projet, international par son caractère et sa portée, où les économistes et les hommes politiques de tous pays pourraient trouver des suggestions fécondes. » Nombre de ces mesuresca elles semblent avoir été mises en place mais malheureusement en oubliant trop la dimension spirituelle que Maurice Zundel mettait comme condition première.