Un maître pour aujourd’hui (1/3)

(Les trois parties de cet article de Mr. Yvon Poitras seront publiées en trois fois aux 15 jours. L’éditeur.)

Pèlerins de la foi, nous marchons sur des chemins plus embroussaillés et plus énigmatiques que jamais. C’est un bonheur de rencontrer un maître dont la pensée et l’expérience spirituelle éclairent et raffermissent nos pas. Maurice Zundel est un maître fascinant, un authentique héraut de l’Évangile. Paul VI, qui l’a bien connu, disait «l’avoir toujours tenu pour un génie, génie de poète, génie mystique, écrivain et théologien, et tout cela en un avec des fulgurations.» Voici quelques-unes de ces fulgurations.

Un Dieu différent

Maurice Zundel disait que «parler de Dieu aujourd’hui dans le langage des premiers siècles, ou en parler dans le langage d’il y a seulement quelques décennies, c’est se condamner à n’être pas compris, et c’est faire courir à Dieu le péril d’apparaître comme un mythe à reléguer au musée des antiquités.» Il était très conscient du mystère, de la transcendance de Dieu. Il savait que l’image de Dieu serait toujours à renouveler, au rythme de l’expérience humaine et de l’avancée des cultures.

Dans sa présentation de Dieu, il s’éloigne vivement du Dieu immuable, tout-puissant, omniscient, «grand souverain devant le monde», qu’on lui avait enseigné au séminaire et que nous avons retrouvé dans le petit catéchisme de notre enfance. Un Dieu-objet, né de constructions logiques, rationnelles. Un Dieu empereur, roi, pharaon, emprunté à des cultures anciennes. Un Dieu qui dominait l’humanité de toute sa majesté, de toute son altitude. Un Dieu imperturbable, insensible à nos angoisses et à nos détresses. Un Dieu surveillant qui tenait un dossier méticuleux de nos déviances. En bref, un Dieu impersonnel: autoritaire, abstrait, lointain.

Zundel nous dévoile un Dieu différent: un Dieu personnel. Un Dieu dont l’être profond est tissé du plus grand, du plus beau, du plus vrai de la personne. Un Dieu qui est «une Présence, un Cœur[1].» Un Dieu qui est le Baiser éternellement donné et accueilli de trois personnes. Un Dieu qui nous espère comme amis. Un Dieu dont le dynamisme originel est élan vers l’autre, ouverture, générosité, don, pardon. Un Dieu qui est le plus empathique et le plus prévenant des bénévoles. Un Dieu qui est le sourire offert à nos tremblements. Un Dieu spontanément donneur de vie et pourvoyeur de sens. Un Dieu porteur d’un amour libérateur pour l’humanité et l’univers.

Il nous révèle un Dieu qui surgit du vécu des hommes et des femmes, qui répond à nos questions existentielles, «un Dieu qui donne toute sa place à l’homme, au lieu de s’imposer en rival aussi insaisissable qu’intraitable[2].» Un Dieu plus humain que nous le serons jamais. Un Dieu dont la compassion est sans frontières. Un Dieu qui regarde avec patience et tendresse les détours fous de notre liberté. Un Dieu qui nous délivre du cachot de la peur et nous donne rendez-vous dans sa maison, qui est celle de l’amour. Écoutons le maître.

Notre Dieu est humble. Il accepte de se soumettre à nous, ses créatures, de se livrer à notre service. Rappelons-nous l’éloquente scène du lavement des pieds. Il respecte notre liberté jusqu’à nous laisser refuser ses avances amoureuses, jusqu’à nous laisser nous détruire nous-mêmes et blesser les autres et la Terre. Il se réjouit avec modestie quand nos talents s’épanouissent en créativité, en découvertes, en beautés, en gestes de solidarité, comme s’il oubliait que nous lui devons nos plus belles capacités.

Notre Dieu est pauvre. Il n’a rien du seigneur propriétaire. Il n’accapare pas, il n’accumule pas. Il ne peut qu’offrir et partager. Il n’est pas plein de lui-même, il n’est pas refermé sur lui-même, il ne s’inquiète pas de lui-même. Il est pauvre de la pauvreté des Béatitudes. Sa joie est dans l’autre. Il est admirateur de toute bonté, de toute beauté dans chaque homme, dans chaque femme, et dans toute la nature. François Varillon, un disciple de Zundel, écrit: «Être riche en amour et être pauvre, c’est exactement la même chose[3]

Notre Dieu est fragile. Il est fragile parce qu’il ne sait qu’aimer. Comme tous les amoureux, il est sensible, vulnérable. Il redoute la brisure du lien d’amitié entre lui et nous. Nous pouvons le peiner en fermant notre cœur à sa présence. Nos froideurs et nos éloignements lui font mal. Il souffre de nos réticences à le manifester à travers nos mots et nos services. Il a besoin de nous pour éliminer les misères et les inégalités destructrices d’humanité, pour instaurer la paix et la justice sur la Terre des hommes.

Notre Dieu est liberté. Liberté et éveilleur de liberté. «Dieu est la liberté même. C’est lui qui est la liberté. C’est lui qui est notre liberté. C’est lui qui nous guérit de nous-mêmes. C’est lui qui nous apprend à être en contact avec nous-mêmes. C’est lui qui établit en nous un lien avec les autres. C’est lui qui nous permet de dépasser leurs limites et les nôtres sans violer leur intimité[4].» L’authentique liberté est libération. Elle est délivrance: elle nous appelle à dégager nos cœurs des dépendances du désir et de la passion tout en nous stimulant à vivre les beautés du désir et de la passion; elle nous invite à convertir notre inclination égocentrique en élans d’accueil et de don. Elle est une expérience de croissance du plus noble de soi.

(à suivre)

Yvon Poitras

[1] Zundel, Maurice, Avec Dieu dans le quotidien, Éditions Saint-Maurice, 1987, p. 29.

[2] Dubois-Dumée, Jean-Pierre, Prier, mars 1997, p. 10.

[3] Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, 1981, p. 30.

[4] Pison Líebanas, R. M. de, La fragilité de Dieu selon Maurice Zundel, Montréal, Bellarmin, 1996, p. 95.