(Les trois parties de cet article de Mr. Yvon Poitras seront publiées en trois fois, aux 15 jours. L’éditeur.)
La foi en l’homme
Zundel observe avec déception que l’homme trop souvent ne croit ni en lui-même, ni dans les autres, c’est pourquoi Dieu lui reste étranger. Il atteste que le premier article du Crédo des chrétiens devrait être: Je crois en l’homme. Il trouve significatif que l’ultime consigne de Jésus n’est pas d’aimer Dieu mais d’aimer l’homme. La grandeur humaine est pour lui la seule valeur capable de nous révéler le Dieu de Jésus: «Tous les chemins de l’homme, s’ils sont parcourus jusqu’au bout, mènent à Dieu. L’expérience de l’homme et l’expérience de Dieu sont une seule et même chose[1].» Si l’être humain ne croit pas en lui-même, s’il demeure étranger à lui-même, Dieu demeurera lointain et sans importance dans sa vie. Il n’est pas tellement important de croire en Dieu, il est beaucoup plus important de croire en l’homme. Car sous le nom de Dieu on peut mettre n’importe quoi. Tant que l’homme n’existe pas, il ne peut être question pour lui de savoir l’existence de Dieu.
Zundel précise: «Quand je dis: Je crois en l’homme, il s’agit de l’homme possible en chacun de nous, d’un homme que nous avons à devenir. L’Homme n’est pas encore né. L’Homme, la plupart du temps, presque toujours, n’est que l’expression de ses automatismes, qu’ils viennent d’une lointaine enfance, ou qu’ils viennent de ses origines animales, peu importe[2].» «Il croit en son savoir et en son pouvoir: il ne croit plus en lui-même[3].» Dans la plupart des cas, l’avoir dévore l’être.
Il déplore que l’être humain apparaisse à nombre de physiciens, de biologistes et de psychologues comme le produit d’un ensemble de réactions et d’influences, la plupart du temps inconscientes. Il estime qu’ils ne croient ni en Dieu ni en l’homme. Il rappelle avec force que l’être humain n’est pas tout entier prisonnier de ses déterminismes. Il peut choisir de devenir une personne. Et devenir une personne, c’est le projet d’une vie entière.
Zundel accueille volontiers la quête de liberté très présente dans la culture moderne. Il y voit la révolte du sujet devant tous les absolus qui voudraient s’imposer de l’extérieur, la prise de conscience de la dignité et de l’inviolabilité de la personne. La libération des contraintes et des conditionnements extérieurs serait toutefois vaine si l’on demeurait installé dans une dépendance narcissique par rapport à soi. La liberté n’est pas seulement de ne rien subir; elle consiste surtout à ne pas se subir soi-même, elle est surtout une libération de ses déterminismes internes, une libération de soi. «On vaut par le degré de liberté que l’on a conquis à l’égard de soi[4].»
La liberté vécue comme libération de soi renvoie directement à la dimension la plus profonde de la personne: le don de soi. En se donnant, l’être humain cesse d’être replié sur lui-même, il se fait, il se crée comme personne. Cette libération par le don de soi ne peut jaillir que dans l’accueil de la présence de Dieu, qui est lui-même Don. La personne se découvre alors comme un je habité par un Autre. Dieu n’est plus une contrainte, une limite: il nous donne de découvrir notre être véritable et de le faire grandir.
L’être humain est perfectible. Il importe cependant de voir que la perfection est «une direction plus qu’un achèvement[5].» Chacun de nos pas vers la libération est une beauté humaine, spirituelle. Cette libération, loin d’être un obstacle à la rencontre de Dieu, en est le lieu d’actualisation. L’homme est l’espérance de Dieu, mais c’est au prix d’une mutation radicale, d’une conversion continue.
C’est seulement lorsque l’homme devient pleinement humain que la révélation de Dieu prend tout son sens. «Le Royaume de Dieu, pour Jésus, c’est l’homme, l’homme ouvert, transparent, généreux, l’homme qui laisse passer à travers lui toute cette vie de Dieu dont toute conscience humaine porte à son insu le trésor[6].» «Un homme rabougri ne donnera jamais que l’image d’un Dieu rabougri. Pour que Dieu atteigne toute Sa Stature, il faut que nous atteignions toute la nôtre.» L’être humain doit se dépasser dans sa vie quotidienne s’il veut être une authentique Bonne Nouvelle de Dieu.
Et le maître conclut: «C’est quand vraiment nous pourrons dire du fond du cœur: je crois en l’homme! que nous pourrons dire en vérité: je crois en Dieu, car il est impossible d’atteindre Dieu sans faire la découverte de l’homme[7].»
(à suivre)
Yvon Poitras
[1] Ibid, p. 1.
[2] Ta parole comme une source, Québec, Anne Sigier, 1987, p. 390.
[3] Croyez-vous en l’homme? Paris, Desclée, 1987, p. 54.
[4] Ibid., p. 98.
[5] Ibid., p. 91.
[6] Zundel, Maurice, revue Nouveau Dialogue, septembre-octobre 1993, p. 30.
[7] Ton visage, ma lumière, Paris, Desclée, 1989, p. 49.