Un maître pour aujourd’hui (3/3)

(Dernière des trois parties de l’article de Mr. Yvon Poitras. L’éditeur)

L’émerveillement

L’enfance de Zundel a été enchantée par la beauté. Il dira de Neuchâtel, où il est né: «La ville est située près d’un lac plein de poésie et dans un pays admirable.» Il sera toujours un admirateur de la nature, un esprit soucieux de s’instruire scientifiquement des secrets du corps humain comme de l’univers, tant physique que vivant.

Il évoque les divers visages de la beauté: un équilibre de proportions, une harmonie de couleurs, de lignes, de sons, la ferveur d’un sentiment, l’amitié, le bouillonnement d’une passion, le déroulement d’une action, l’élan de la prière et la présence de Dieu au cœur de ses enfants. Pour accueillir cette beauté multiforme, il faut aimer la Création, la lire comme une lettre d’amour, savoir qu’elle est le signe d’une Présence, d’un Cœur qui bat et qui nous la donne. Ce qui présuppose la possession de soi, le respect, le silence.

Zundel s’émerveille devant la variété des dons que le Créateur offre en partage aux personnes:

Chacun de vous a des dons particuliers, chacun de vous est attiré par un certain aspect de l’univers: il y en a qui aiment les bois, il y a en a qui aiment la mer, il y en a qui aiment la montagne, il y en a qui aiment la musique, d’autres la poésie, il y en a qui aiment les mathématiques, d’autres l’astronomie, mais chacun dans cette recherche, chacun dans cet amour, chacun dans cette passion trouve sa source, cette source que Jésus révélait à la Samaritaine au puits de Jacob. Et comme chacun de nous est différent, comme chacun de nous est irremplaçable et unique, comme Dieu ne se répète jamais en créant une âme, il donne à cette âme, il lui confie un rayon de lui-même; il l’appelle à exprimer Sa Beauté dans son langage à elle, qui est unique[1].

Il découvre dans l’art vrai – qui est une lecture divine de l’univers – l’un des aspects les plus merveilleux de l’aventure humaine. Il recommande de ne pas avoir peur d’aller vers ce que nous aimons le mieux, d’avoir un violon d’Ingres, une lecture, une œuvre d’art, un album ouvert dont nous tournerions chaque jour une page. Il appelle à l’écoute fervente de la musique: «Le miracle de la musique, c’est d’atteindre au fond de l’homme, de le mettre en face de l’éternel en lui, de faire surgir au-dedans de lui ce visage qui ne cesse de l’attendre. L’essence de la musique est de faire de tout notre être une vivante musique où Dieu lui-même en nous puisse se chanter[2]

Il espère l’alliance de la beauté avec l’évangélisation et la liturgie: «Ne faudrait-il pas toujours associer la Beauté à la présentation de l’Évangile? N’est-ce pas la seule manière de l’accréditer auprès de l’âme humaine que de lui donner son vrai visage qui est le visage de l’éternelle Beauté? Si je pouvais, j’organiserais la Liturgie sur un plan d’immense beauté avec tous les concours possibles de l’art humain, sans exclure la danse[3]

Zundel possédait un sens aigu, une nostalgie de la beauté. Il raconte une expérience qui l’a bouleversé:

Nous étions ce matin-là dans la chapelle des Médicis à Florence. En regardant les œuvres de Michel-Ange, en me laissant parfaitement faire par elles, je sais très bien qu’à un moment donné j’étais pris, j’étais pris par quelqu’un. Ce n’était plus l’œuvre de Michel-Ange que je voyais: c’était à travers l’œuvre de Michel-Ange une Présence. C’était une impression d’immense liberté, liberté incroyable et inconnue jusqu’alors, la liberté d’un homme qui prend des vacances de lui-même, qui ne se souvient plus qu’il est là, qui est perdu, perdu dans cette Présence qui l’aspire, qui l’appelle, qui le remplit, qui le comble, et qui devient vraiment pour lui une respiration. Et je respirais cette Présence[4].

Puis il commente son expérience: «Les œuvres vraies sont celles qui font transparaître l’espace invisible où Dieu habite en nous. La Beauté c’est Dieu lui-même, ce quelque chose d’infini qui n’est pas nous et devant qui notre être doit s’effacer[5].» L’œuvre d’art est une sorte de sacrement. Elle est belle dans la mesure où elle laisse passer l’éternelle Beauté.  Toutes les beautés sont des chemins vers Dieu.

 

Un maître à écouter

La parole de Maurice Zundel est une parole ensoleillée offerte aux croyants de maintenant et de demain. Elle nous présente un Dieu personnel, un Dieu de libération, qui est le Dieu de l’Évangile. Elle nous appelle à renouveler notre foi en l’homme, condition d’une foi authentique en Dieu. Elle nous invite à vivre la beauté comme lieu privilégié de la rencontre de Dieu. C’est une parole à écouter dans le silence, le cœur grand ouvert.

Yvon Poitras

[1] Lucques, Claire, Maurice Zundel, dans la nostalgie de l’éternelle Beauté, Sainte-Foy, Anne Sigier, 1991, p. 52.

[2] Ibid., p. 148.149.

[3] Ibid., p. 169, 164.

[4] Ibid., p. 14.

[5] Ibid., p. 131, 136.